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Le vin de sauge
Texte de Jean-Michel DEFAYOLLE (letchip@hotmail.com),
dessin Christophe Hennequin
La Garance voyageuse n° 72

   
Le vin de sauge,
Vinum salviae

La sauge officinale est une plante bien connue de tous et souvent cultivée dans les jardins.
Elle affectionne les lieux secs et arides.
Ces feuilles permettent de réaliser un vin apéritif aromatisé.

« - Ave, Caius Publius, c’est un réel plaisir de te recevoir dans mon humble domus, allonge-toi et viens prendre un rafraîchissement avant que nous ne causions boutique.
- Avec Plaisir, Ô Marcus Sextius, mon ami, mais, s’il te plaît, quelque chose de léger, j’ai peur d’avoir quelque peu abusé du Falerne Opimien (prétendument de cent ans d’âge) à l’orgie de Petronius hier…

- Je vois ce qu’il te faut, quelque chose de doux et digestif à la fois pour reposer tes entrailles et chasser la sciure de bois qui encombre ta langue, je vais faire préparer de ce pas une jarre de Vinum salviae, car, tu le sais, il n’est jamais si bon que préparé extemporanément, c’est l’affaire d’une fraction de clepsydre ! Et, en attendant grignote quelques-uns de ces petits pains qu’affectionnait ce vieux ronchon de Caton, ils sont parfumés au silphion… »

(reconstitution « maison » d’un dialogue antique).

C’est de sauge qu’il est question cette fois-ci, Pas de Salvia sclarea, ni de S. pratensis (encore que…) mais de Salvia officinalis, la plus parfumée de nos sauges indigènes, celle-là même sans qui les saltimbocche alla romana n’existeraient pas.
Sur le plan botanique, Salvia officinalis est une Lamiacée typique. Sous-arbrisseau buissonnant de 30 à 90 cm de haut, à racine pivotante et à tiges quadrangulaires dressées velues (ligneuses à la base et herbacées à leur extrémité). Les feuilles sont opposées, pétiolées, grandes et lancéolées, de couleur vert blanchâtre très finement crénelées et recouvertes de poils blancs laineux. Les fleurs, de couleur bleu-violacé, sont groupées (par 3 à 6, en verticille) en épis lâches terminaux et comportent un calice bilabié avec une longue corolle à deux lèvres, dont l'inférieure est trilobée. Il en existe plusieurs cultivars dont les plus courants arborent des feuillages panachés comme Salvia offiicinalis ‘Tricolor’ ou ‘Icterina’.

Le genre Salvia est intéressant à plusieurs titres. Au jardin, les sauges sont peu exigeantes en termes de soins ; il en existe pour tous les goûts, y compris de magnifiques espèces centre ou sud-américaines dont le seul défaut est un relatif manque de rusticité. Sur le plan historique et ethnobotanique, il y aurait quelques volumes à écrire pour faire le tour de la question. Deux exemples pour faire bref !
La seule Lamiacée douée de propriétés hallucinogènes est une sauge (S. divinorum) dont l’usage dépasse de beaucoup les quelques centaines d’Indiens mexicains qui en ont besoin pour leurs cérémonies religieuses et leurs rituels de guérison. Pour vous en convaincre, tapez Salvia sur n’importe quel moteur de recherche Internet… J’ai personnellement reçu quelques témoignages directs des effets de cette sauge de la part de gens que l’usage de psychotropes puissants n’effraie guère, et il semble bien que la mescaline, le LSD et la psilocybine soient d’aimables plaisanteries anodines à côté de S. divinorum !

Les deux Romains du début qui boivent du vin de sauge par pur plaisir savent bien que c’est aussi un médicament puissant, à l’époque extrêmement prisé en gynécologie (règles douloureuses, stérilité) et une plante sacrée qui doit être récoltée avec tout un cérémonial qui inclut le port de « tunique et de pieds propres » et proscrit l’usage d’outils de fer pour la récolte.
Sur le plan gustatif, et çà c’est important pour notre propos, la sauge est non seulement aromatique (c’est entre autres la thuyone, le cinéol et le camphre qui en sont responsables), mais aussi amère, en raison des tannins, des phénols, des dérivés diterpéniques (carnosol) et triterpéniques (acides ursoliques et oléanoliques). La sauge ne profite pas des cuissons prolongées qui font ressortir cette amertume et on ne l’aime guère non plus infusée ou macérée trop longtemps.

Recette pour 5 litres de vin de sauge

Ceci nous amène à la fabrication de notre vin de sauge romain. Il faut de la sauge bien sûr, mais aussi du vin. Du vin blanc, et du bien sec !
Le muscadet ou le gros plant conviennent très bien mais on peut aussi envisager un entre-deux mers un peu rustique ou un gentil vin blanc de Savoie. Ne mollissons pas, je donne les proportions pour cinq litres de vin, c’est une boisson qui est parfaite pour un apéritif ensoleillé avec une dizaine de convives.
Il faudra en plus du miel bien liquide, 500 g pour les cinq litres. La dilution sera faite moyennant un peu de constance et un remuage actif. Et c’est là que les choses sérieuses commencent.
Vous prendrez deux récipients d’une contenance d’un peu plus de cinq litres (les amphores sont couleur locale mais facultatives, les cubitainers en plastique fonctionnent assez bien), un grand entonnoir et cinq ou six bonnes poignées de feuilles de sauge fraîches. Une poignée sera mise dans l’entonnoir au-dessus du récipient vide et vous verserez dessus tout doucement le mélange de vin et de miel. Et quand tout le liquide sera passé, vous recommencerez. Au bout de trois ou quatre passages, on jette les feuilles de sauge et on en remet de nouvelles jusqu’à épuisement du stock. C’est un peu fastidieux, mais c’est à ce prix qu’on obtient un vin sucré mais rafraîchissant, tonique et sans amertume désagréable. Les fainéants qui feront un macérat en laissant traîner les feuilles une heure dans le vin miellé seront punis à grands coups de di- et triterpénoïdes amers comme chicotin !

Ça se boit bien frais, et bien facilement…. Et pour la recette des petits pains de Caton à la férule et à la livèche, une autre fois peut-être….

 



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