Le vin de sauge,
Vinum salviae
La sauge officinale est une plante
bien connue de tous et souvent cultivée
dans les jardins.
Elle affectionne les lieux secs et arides.
Ces feuilles permettent de réaliser un
vin apéritif aromatisé.
« - Ave, Caius Publius, c’est
un réel plaisir de te recevoir dans mon
humble domus, allonge-toi et viens prendre un
rafraîchissement avant que nous ne causions
boutique.
- Avec Plaisir, Ô Marcus Sextius, mon ami,
mais, s’il te plaît, quelque chose
de léger, j’ai peur d’avoir
quelque peu abusé du Falerne Opimien (prétendument
de cent ans d’âge) à l’orgie
de Petronius hier…
-
Je vois ce qu’il te faut, quelque chose
de doux et digestif à la fois pour
reposer tes entrailles et chasser la sciure
de bois qui encombre ta langue, je vais faire
préparer de ce pas une jarre de Vinum
salviae, car, tu le sais, il n’est jamais
si bon que préparé extemporanément,
c’est l’affaire d’une fraction
de clepsydre ! Et, en attendant grignote quelques-uns
de ces petits pains qu’affectionnait
ce vieux ronchon de Caton, ils sont parfumés
au silphion… »
(reconstitution « maison » d’un
dialogue antique).
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C’est de sauge qu’il
est question cette fois-ci, Pas de Salvia sclarea,
ni de S. pratensis (encore que…) mais de
Salvia officinalis, la plus parfumée de
nos sauges indigènes, celle-là même
sans qui les saltimbocche alla romana n’existeraient
pas.
Sur le plan botanique, Salvia officinalis est
une Lamiacée typique. Sous-arbrisseau buissonnant
de 30 à 90 cm de haut, à racine
pivotante et à tiges quadrangulaires dressées
velues (ligneuses à la base et herbacées
à leur extrémité). Les feuilles
sont opposées, pétiolées,
grandes et lancéolées, de couleur
vert blanchâtre très finement crénelées
et recouvertes de poils blancs laineux. Les fleurs,
de couleur bleu-violacé, sont groupées
(par 3 à 6, en verticille) en épis
lâches terminaux et comportent un calice
bilabié avec une longue corolle à
deux lèvres, dont l'inférieure est
trilobée. Il en existe plusieurs cultivars
dont les plus courants arborent des feuillages
panachés comme Salvia offiicinalis ‘Tricolor’
ou ‘Icterina’.
Le genre Salvia est intéressant
à plusieurs titres. Au jardin, les sauges
sont peu exigeantes en termes de soins ; il en
existe pour tous les goûts, y compris de
magnifiques espèces centre ou sud-américaines
dont le seul défaut est un relatif manque
de rusticité. Sur le plan historique et
ethnobotanique, il y aurait quelques volumes à
écrire pour faire le tour de la question.
Deux exemples pour faire bref !
La seule Lamiacée douée de propriétés
hallucinogènes est une sauge (S. divinorum)
dont l’usage dépasse de beaucoup
les quelques centaines d’Indiens mexicains
qui en ont besoin pour leurs cérémonies
religieuses et leurs rituels de guérison.
Pour vous en convaincre, tapez Salvia sur n’importe
quel moteur de recherche Internet… J’ai
personnellement reçu quelques témoignages
directs des effets de cette sauge de la part de
gens que l’usage de psychotropes puissants
n’effraie guère, et il semble bien
que la mescaline, le LSD et la psilocybine soient
d’aimables plaisanteries anodines à
côté de S. divinorum !
Les deux Romains du début
qui boivent du vin de sauge par pur plaisir savent
bien que c’est aussi un médicament
puissant, à l’époque extrêmement
prisé en gynécologie (règles
douloureuses, stérilité) et une
plante sacrée qui doit être récoltée
avec tout un cérémonial qui inclut
le port de « tunique et de pieds propres
» et proscrit l’usage d’outils
de fer pour la récolte.
Sur le plan gustatif, et çà c’est
important pour notre propos, la sauge est non
seulement aromatique (c’est entre autres
la thuyone, le cinéol et le camphre qui
en sont responsables), mais aussi amère,
en raison des tannins, des phénols, des
dérivés diterpéniques (carnosol)
et triterpéniques (acides ursoliques et
oléanoliques). La sauge ne profite pas
des cuissons prolongées qui font ressortir
cette amertume et on ne l’aime guère
non plus infusée ou macérée
trop longtemps.
Recette pour 5 litres de vin
de sauge
Ceci nous amène à
la fabrication de notre vin de sauge romain. Il
faut de la sauge bien sûr, mais aussi du
vin. Du vin blanc, et du bien sec !
Le muscadet ou le gros plant conviennent très
bien mais on peut aussi envisager un entre-deux
mers un peu rustique ou un gentil vin blanc de
Savoie. Ne mollissons pas, je donne les proportions
pour cinq litres de vin, c’est une boisson
qui est parfaite pour un apéritif ensoleillé
avec une dizaine de convives.
Il faudra en plus du miel bien liquide, 500 g
pour les cinq litres. La dilution sera faite moyennant
un peu de constance et un remuage actif. Et c’est
là que les choses sérieuses commencent.
Vous prendrez deux récipients d’une
contenance d’un peu plus de cinq litres
(les amphores sont couleur locale mais facultatives,
les cubitainers en plastique fonctionnent assez
bien), un grand entonnoir et cinq ou six bonnes
poignées de feuilles de sauge fraîches.
Une poignée sera mise dans l’entonnoir
au-dessus du récipient vide et vous verserez
dessus tout doucement le mélange de vin
et de miel. Et quand tout le liquide sera passé,
vous recommencerez. Au bout de trois ou quatre
passages, on jette les feuilles de sauge et on
en remet de nouvelles jusqu’à épuisement
du stock. C’est un peu fastidieux, mais
c’est à ce prix qu’on obtient
un vin sucré mais rafraîchissant,
tonique et sans amertume désagréable.
Les fainéants qui feront un macérat
en laissant traîner les feuilles une heure
dans le vin miellé seront punis à
grands coups de di- et triterpénoïdes
amers comme chicotin !
Ça se boit bien frais, et
bien facilement…. Et pour la recette des
petits pains de Caton à la férule
et à la livèche, une autre fois
peut-être….
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